Notre précédent article intitulé Bugatti | Le salon de Strasbourg fête les 110 ans de la marque, vous a présenté les frères Munsch, Arsène et Jean-Louis. Toutefois, la quantité d’informations et d’anecdotes qu’ils connaissent mérite un article complet. N’allez pas croire, cependant, que nous allons vous dévoiler tous les secrets de l’usine Bugatti. Nous nous attacherons seulement à quelques détails intéressants vécus de l’intérieur par des membres du personnel. Avant, naturellement, que le nom de Bugatti ne disparaisse totalement du fronton de l’usine.
Arsène Munsch, le frère aîné, pose le décor de l’usine Bugatti
Étau traditionel à l’usine Bugatti.
Arsène Munsch n’a pas lui-même travaillé sur les automobiles Bugatti. Mais il a côtoyé les anciens qui eux connurent Ettore. Il est aussi membre fondateur de EBA Enthousiastes Bugatti Alsace. Le parcours d’Arsène débute vraiment à une époque charnière. Il y avait, en effet, les anciens qui contribuaient à faire perdurer l’âme Bugatti et les nouveaux, qui exerçaient un autre métier. En 1959, Arsène Munsch démarre un apprentissage au centre Louis Marchal (aujourd’hui Lycée Polyvalent Louis Marchal). Muni de son CAP d’ajusteur, il entre en 1962 à l’usine Bugatti. Il travaille ainsi aux côtés des anciens. Ceux qui connurent personnellement Ettore et travaillaient avec lui. Certains ont collaboré pendant 30, 40 ou 50 ans chez Automobiles Bugatti. Ils lui ont alors transmis leur attachement à l’usine Bugatti et raconté d’innombrables anecdotes.
La fin de l’usine Bugatti, achetée par Hispano-Suiza
La tige de la fermeture de l’étau toujours verticale.
Moins d’un an après l’engagement d’Arsène, l’usine Bugatti passe dans les mains d’Hispano-Suiza. Le plus jeune fils d’Ettore, Roland Bugatti, cède en effet l’usine et le nom Bugatti à Hispano-Suiza. Dès lors, les ordres sont simples. Les ateliers doivent être entièrement vidés. Il faut donc virer toutes les pièces qui servent au secteur de l’automobile. Les ferrailleurs et quelques acheteurs commencent par embarquer ce qu’ils peuvent. Lorsqu’il ne reste que de la boulonnerie, des petites pièces, ou autres, des fûts de 200 litres sont remplis et débarrassés. Les boulons dans tel fût, l’aluminium dans tel autre, et ainsi de suite. Arsène a 17 ans à cette époque et à cet âge, on ne discute pas les ordres. Les décideurs quant à eux ne font preuve d’aucun état d’âme. On l’aura compris, le bâtiment ne doit plus rien contenir.
Retour chez Hispano – Messier – Bugatti, après l’armée
Écartement correspondant à deux doigts pour éviter la contrainte mécanique de l’étau fermé.
De l’automobile aux aéronefs
Entre 1964 et 1966, Arsène Munsch accomplit son service militaire. De retour en Alsace, il retourne à l’usine Bugatti. En 1977, il est nommé chef d’équipe pour le montage des trains d’atterrissage. L’usine s’appelle alors Messier-Hispano-Bugatti. Il travaille sur des pièces destinées aux Mirage 2000, Alphajet ou encore Super Étendard. Depuis son entrée chez Bugatti en 1962, l’usine a connu de multiples noms au fil des ans. Cela a d’abord été Automobiles Bugatti, ensuite Bugatti-Hispano, puis Hispano-Messier et Messier-Bugatti-Dowty. Aujourd’hui, l’entreprise s’appelle désormais Safran. Elle est d’ailleurs le leader mondial pour tout ce qui touche aux systèmes d’atterrissage et de freinage pour les aéronefs. On est bien loin de construire des automobiles !
L’héritage Bugatti sauvegardé
Après 42 ans de bons et loyaux services, Arsène Munsch peut enfin goûter à une retraite bien méritée. Il s’est trouvé une activité rêvée. En effet, comme nous l’avons déjà mentionné, il est aussi membre fondateur de EBA Enthousiastes Bugatti Alsace. Cette association regroupe des anciens de l’usine Bugatti. Ce n’est pas pour cela qu’ils sont tous propriétaires d’un bolide Bugatti. Toutefois, leur but commun est de faire perdurer l’esprit Bugatti, celui d’Ettore. L’association oeuvre principalement à faire fabriquer les pièces manquantes à la maintenance ou à la rénovation des différents modèles de voitures.
L’usine Bugatti à l’époque d’Ettore
Place de travail d’un ouvrier à l’usine Bugatti.
Un dirigeant impliqué et bienveillant
Ni Arsène, ni Jean-Louis n’ont eu la chance de travailler du temps du maître. Ils ont cependant croisé ceux qui ont eu ce privilège. Tout commence sur la planche à dessin. Puis, le dessin passe en atelier pour être traduit en pièces. Enfin, c’est la phase d’assemblage. Le tout aboutit à une voiture. L’auto est ensuite mise sur un banc d’essais. Les premiers tests alors commencent. Ettore Bugatti ne reste pas assis derrière un bureau. Il est présent à toutes les étapes. Depuis l’ordre de départ, puis pendant les différentes étapes de fabrication et enfin le banc d’essai et les tests. Lorsqu’il passe dans les ateliers, il a l’oeil à tout. En effet, si Ettore aperçoit un ouvrier qui tient mal son outil, pas de réprimande. Ettore prend la peine de s’arrêter, prend l’outil des mains de l’ouvrier et lui montre la position exacte pour obtenir une pièce parfaite.
L’organisation des places de travail
Visite rapide de l’usine Bugatti. Dans l’atelier, se trouvent entre 6 et 7 établis, accouplés sur la longueur. En fait, le concept est simple : par ouvrier, il y a un établi, un étau, un tiroir. Ensuite, à côté de l’étau, sont rangés un marteau, des limes et une scie à métaux. Enfin, au-dessus sur une étagère, tous les instruments de mesure sont rassemblés. Chaque ouvrier possède en outre sa propre balayette. Celui lui permet de ramasser la limaille qui tombe lors de certains travaux. La journée terminée, l’étau doit rester ouvert avec une fente laissant passer deux doigts. Il ne doit pas y avoir de contrainte sur l’outil lui-même. Enfin, lors de la fermeture annuelle de trois semaines, chacun doit repeindre son étau. L’outil doit être parfait à la rentrée. Outre la propreté, nous confirme Arsène Munsch, Ettore est aussi à très cheval sur l’entretien du matériel.
Vintage Car Magazine vous donne son avis
2010 Bugatti Veyron EB 16.4 Coupé qui n’a plus rien à voir avec l’âme Bugatti disparue avec son créateur en 1947.
La fabrication des autos a bien changé. Est-il possible d’imaginer des ateliers comme ceux d’Ettore Bugatti ? Impossible. Nous sommes dans une période de production intense. Il faut toujours produire plus pour consommer plus. Prenez le temps, arrêtez-vous un moment et imaginez l’usine Bugatti. Le mot stress existait-il déjà à cette époque ? De plus, un patron de société respectueux de ses employés et même capable de faire leur travail ! C’est sûr, nous avons changé de paradigme. Aussi, il est sans doute difficile pour les plus jeunes de comprendre cette manière de travailler. De respecter son outil de travail et d’être humble lorsque l’on vous montre le geste exact pour qu’une pièce soit parfaite. Désormais, ce sont des robots qui fabriquent à la chaîne les pièces. Et, si celle-ci n’est pas correcte, elle part à la poubelle. Autre temps, autres mœurs.
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